40 ANS. De quoi ? De métier.
Oui je sais, j'ai les cheveux qui blanchissent, le corps ménopausé depuis 8 années maintenant, j'ai l'âge de la retraite sociale qui approche, bientôt bonne pour la vie pépère ou la casse... Les vieilles dans nos métiers c'est... peu crédibles, pas sexy, c'est chiant les vieilles, ca n'a plus grand chose à offrir ni à raconter, ça radote (Un peu d'humour ne fait pas de mal). Mais trêves de plaisanterie, bien souvent nos compétences sont moins valorisées que chez les vieux, chez eux ces compétences se sont bonifiées, chez nous c'est bizarre, elles se tarissent, sauf si nous avons un peu de notoriété ou carrément la célébrité, alors là il nous reste quelques chances de sortir du lot... mais nous sommes, hélas, assez peu d'élues.
Le tunnel des femmes de plus de cinquante ans c'est pas de la gnognote, c'est une vraie réalité. Depuis quelques années, je résiste pour ne pas devenir amère, parce que c'est un peu de ma faute aussi si je suis restée dans l'ombre. Je ne me suis jamais vraiment battue pour me fabriquer une enseigne, une sorte de marque toute personnelle, un réseau solide et rentable... Je dois avouer que j'ai fait au jour le jour avec les moyens du bord sans avoir de vraie stratégie, souvent agissant par amour et naviguant comme j'ai pu au milieu d'accidents graves qui ont jonchés ma vie (entre autre devenir malentendante à 32 ans ).
En ce moment je rêve de ne plus avoir à me battre pour faire mes 507h. Au mois de Novembre je vais avoir 59 ans et j'aurais 40 années de métier tout rond. Je n'ai, en fait, absolument pas envie d'arrêter de créer, de faire mes métiers (et oui j'en ai plusieurs), de les faire à ma manière, avec toutes mes compétences qui sont loin d'être périmées. J'ai envie de continuer de me former, en tout cas comme comédienne. Je n'avais pas fait cela depuis 15 ans ... Quel délice, de reprendre ce chemin là !
Même si je ne suis pas rentable et que je n'ai jamais su me vendre, ni trouver quelqu'une/un pour le faire dans la durée, j'aspire encore à trouver la perle rare qui aura l'envie furieuse de défendre mes créations. Une fois dans ma vie j'ai eu cette chance... Deux petites années au milieu du chaos de ma vie personnelle, un chaos comme je n'en avais jamais connu, deux petites années et puis le désert... Comme si la vie s'amusait à m'offrir le meilleur, puis à tout m'arracher sans aucune pitié. Démerde toi ma fille, porte ton monde toute seule... Pour le coup vraiment toute seule... Ton chaos est toujours là, tu es épuisée, exsangue, la vie t'as terrassée et ce cadeau précieux, ce socle enfin offert, disparaît et te laisse seule perdue dans ce monde assez cruel de la culture... Un monde, un territoire les Landes que tu viens juste de découvrir, d'appréhender...
Je peux vraiment parler de tout cela, parce que depuis la mort de ma mère ces quarante années de métier qui comptent énormément pour moi, sont revenues m'immerger toute entière. Je fais le bilan face à un chiffre tout rond de deux fois 20 ans, c'est assez important. Je suis toujours là, incroyable ! C'est dur, je ne suis pas sûre de faire mes heures cette année, je suis aidée et soutenue bien sûr, mais en réalité je me porte toute seule face aux institutions culturelles en tout genre depuis fin 2018, seule face à ce monde qui exige d'être bien entourée pour se vendre les doigts dans le nez.
Certes j'ai l'habitude, je n'ai eu que 2 ans un chargé de diffusion formidable, sur 20 années de direction artistique de cies... Avoir l'habitude ne veux pas dire que cela marche. Actuellement c'est un peu comme monter l'Everest en tongs. J'ai goûté à ce soutien si précieux, à ce partenariat que je ne connaissais pas. J'aurais préféré y goûter lors d'une période de ma vie personnelle beaucoup moins tourmentée, j'aurais sûrement pu alors maîtriser la suite et que cela dure, mais les épreuves on les reçoit et il faut bien se démerder avec.
Bon, bon, bon, tout cela pour dire que les pressions sociétales je les ressens fortement en ce moment, et que n'ayant plus envie de les subir, une petite voix me dit que la retraite c'est chouette... Mais tout bien réfléchi, ce n'est pas la retraite qui me tente, (surtout qu'elle sera de misère, réalité de la plupart d'entre nous), c'est l'autonomie financière dont je rêve ! Pour continuer de créer comme je veux, ce que je veux, au rythme que je veux, avec les gens que j'aime ! Ne plus avoir besoin d'être rentable, de respecter un planning serré et de correspondre à tous plein de petites cases, la création ce n'est pas cela, c'est beaucoup plus intime et mystérieux... Je ne rêve pas de la retraite en soi, j'ai plein d'envies, plein d'idées, de pensées qui mûrissent, plein d'énergie si elle est bien sollicitée. Je rêve d'une immense liberté financière et de trouver la perle rare qui me "vendra", sans que cette tâche m'incombe, qui me vendra même toute vieille, toute ridée, avec ma tête bien faite, mon cœur toujours et à jamais vaillant, heureuse de créer à ma manière, qui n'est certainement pas parfaite, mais dont je revendique la singularité. Le 9 novembre 59 ans et quarante années de métier au service du spectacle vivant, avec le recul c'est pas rien tout de même !
Photo d'une affiche de Tancède mise en scène pour le Festival d'Aix en Provence par Jean-Claude Penchenat (CDN de Chatenay Malabry. Le théâtre du Campagnol, mon premier socle, mes premiers formateurs et employeurs, des souvenirs impérissables, des rencontres inoubliables, des amitiés indéfectibles ). En premier plan : Daphné Evangélatos François Le Roux. Derrière eux ma pomme de 19 ans. Affiche retrouvée chez Claire, ma mère.