LES PLACARDS / Episode 23
- On peut continuer, encore ?
- C'est pas raisonnable.
- Allez, s'il te plait, c'est trop fun, et j'en ai besoin.
- C'est l'ivresse des grands espaces... C'est normal la première fois. Mais là, il faut que l'on rentre.
- Allez, j'ai besoin de voler au dessus de la forêt encore un peu, avant de rendre Mister Drone ! Sinon c'est trop dur.
- Ok, je fais un dernier tour et ensuite on rentre.
- Merci ! Regarde ! C'est magnifique ! C'est le printemps ! Ce vert tendre, et ce violet qui tranche ... J'arrive même à me souvenir des odeurs... Tu y arrives toi ?
- Non, je pilote, je n'ai pas le temps de faire mes exercices de mémoire sensorielle. Faut rentrer là !
- Ok, t'as raison, sinon ça va être chaud.
Mister Drone réaparait au dessus des placards. Il tourne un peu puis disparaît.
- Tu as gardé les images ?
- Oui, elles sont sauvegardées.
- T'es sûr, qu'aucune n'est restée dans sa carte mémoire ?
- Absolument, j'ai vérifié deux fois, et j'ai rempli sa mémoire avec les images que nous avons récoltées. Pendant notre vol, je diffusais d'autres images encore.
- J'en reviens pas... Tu as vu tous ces morts, sous bâches, devant l'hôpital... Et tous ces gens qui cherchent à manger... Et tous ces placards surpeuplés... Ils sont tellement nombreux là dedans que leurs portes ont du mal à fermer... Et puis les enrôlements massifs, des plus démunis, pour le travail obligatoire,, c'est horrible toutes ces longues files de travailleurs sans protection... C'est quoi tout ça ? C'est surréaliste, hein ? Dis moi que je rêve, que c'est un cauchemar, que je vais me réveiller ?
- Oui, je sais, c'est très choquant la première fois.
- Ils vont venir ... me chercher ... bientôt...
- Mais non pourquoi ? Tu respectes les règles, à la lettre. Tu confines : Absolument, sans Concession, dans une Abnégation Totale. S'ils venaient ... ils viendraient pour moi, pas pour toi. J'ai pris le large et je pirate Mister Drone. Toi tu n'as rien à craindre. Qu'est qu'il te prend ?
- Je suis précaire. Ils le savent, nous sommes fiché-e-s. Pour l'instant je donne le change, mais ça va pas durer.
- Mais enfin , arrête ! C'est horrible ce que tu dis. Je t'aiderais. C'était pas une bonne idée, cette sortie en ville. On aurait du rester dans la nature.
- Si, c'était une très bonne idée. On peut pas faire comme si de rien n'était, au chaud de nos placards, loin de tout. T'as faim ?
- J'ai plutôt envie d'un apéro.
- Ok ! Aux jours heureux, alors , ceux d'hier et ceux de demain.
Lumineuses salutations.
Le 20 Avril 2020. Période difficile, moins d'envies, moins d'allant, inquiétudes grandissantes, même si je les tiens à distances, le plus possible. L'enfermement pèse et sa durée commence à faire souffrir le corps et l'âme qui se débat. On a beau sortir un peu, bouger chez soi, maintenir des routines, comme les lendemains ne s'annoncent pas libérateurs, il est difficile parfois de garder la constance de l'espoir et du sourire.