LES PLACARDS / Episode 49
- Comment a-t-on fait pour en arriver là ?
- Comment ça ?
- Je ne comprends pas comment nous avons fait pour en arriver là, voilà c'est pas compliqué.
- Vraiment tu ne comprends pas ?
- Non, j'y comprends rien, tout cela me dépasse totalement.
- Tu te fous de moi ou quoi ?
- Pas du tout. Je me dis sincèrement que j'ai raté quelque chose. Qu'il y a quelque chose que je n'ai pas vu venir. Que nous avons laissé faire par fainéantise ? Par aveuglement ? Par trop de confiance ? ...
- Par trop de confort ...
- Nous y avons vraiment cru aux lendemains qui chantent, après la seconde guerre mondiale, Les grands procès de l'après guerre, Ambroise Croizat et la sécurité sociale, entre autre, le baby boum, les progrès technologiques fulgurants, l'éducation pour toutes et tous à grande échelle, et puis 1968 qui relance les combats sociaux et sociétaux et dont découle les années 1970 ; le féminisme, les luttes contre le racisme, la remise en cause profonde de la colonisation, les mouvements étudiants et ouvriers, le long combat des marginaux en tout genre qui s'amorce, tout cela a profondément changé le monde et nos rapports aux êtres humains, notre rapport à la famille et à l'éducation de nos enfants ... Partout dans le monde, une réelle remise en cause des fondamentaux travail famille patrie fut posée dans le débat publique. Une parole qui se libère vraiment, une révolution sociale sans précédent quand on y pense... Un mouvement profond, solide s'appuyant sans faille sur une certitude : plus jamais cela ! Plus jamais ces horreurs humaines, ces assassinats planifiés à grande échelle, infligés à d'autres êtres humains sous prétexte de leur race, leur sexe, de leur religion, de leur orientation sexuelle, leur pensées politique, leur handicap physique, plus jamais cela... La Shoah a fondamentalement bouleversée la pensée occidentale qui se croyait détenir la vérité et qui l'imposait au monde entier. Nous avions dépassé de loin le degrés d'inhumanité « acceptable » en temps de guerre ou d'exploitation de l'homme par l'homme, le régime nazi nous a obligé à réviser notre copie de fond en comble... Bien sûr le pouvoir a continué à jouer avec les enjeux économiques, à continuer de poser le monde dans un schéma dominants dominés, bien sûr les vaincus ont repris leur chemins politiques à couvert et en toute discrétion, mais la population civile, elle, a commencé un chemin d'humanité partagée jusqu'alors totalement inédit et mondial. Je pensais toutes ces valeurs humanistes en pleine floraison bien plus solides, bien plus ancrées dans toutes les couches de la société civile, même si le travail restant à faire semblait immense et serait forcément imparfait... Et aujourd'hui nous en sommes rendus là ?
- Oulala, tu t'embarques dans quoi là ? Tu me donnes un cours d'histoire version accélérée et édulcorée pour me parler de quoi exactement ?
- Je suis entrain de te prévenir que si l'extrême droite passe au pouvoir dimanche qui vient, je brûle mon placard, je fous le camps, je prend le chemin de la résistance, c'est pas compliqué.
- Ah oui et comment ? C'est bien joli toutes tes bonnes intentions, tes grands sentiments à la con, mais la dernière fois que je t'ai demandé une arme tu n'as trouvé qu'une vieille pétoire ! On est sans défense. Plus personne ne sait se battre. Même au fin fond de ta cambrousse enfermé-e-s dans nos placards, nous sommes englué-e-s dans notre confort. Alors imagine toutes celles et ceux qui ont une armoire... Nous sommes endettés, pour la plupart, prisonniers de nos machines connectées, nous sommes toutes et tous de pauvres glandus totalement inexpérimenté face à la violence armée. Celle qui effectivement nous pend au nez et à laquelle on a commencé à nous habituer.
- Alors on fait quoi ? Pendant le confinement on a pas baissé les bras .
- Un passe temps.. un amusement...
- Tu déconnes ou quoi ?
- Quelques fois, ça a pu servir à calmer mes angoisses, mais franchement, on était ridicule, tu ne trouves pas ?
- Pas tant que ça .
- Mais si, mais si, nous étions ridicules, sans défense ni réelle stratégie.
- T'as pris un coup de vieux, ou quoi ?
- Ça ce peut... Ces deux années traversées... Ces deux années nous ont profondément transformé-e-s.
- C'est pas une raison pour lâcher la vie ... et ses libertés ... et ses fantaisies... et ses utopies...
- Si tu le dis ...
Silence...
- On est foutus, tu crois ?
- Je ne sais pas, on verra...
- Et ben, c'est gai ...
Silence...
Le 21 mars 2022 / Dimanche c'est le deuxième tour des élections présidentielle... O joie joie !
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