LES PLACARDS / Episode 50

 - Et bien tu vois ?

- Quoi ?

- Rien rien ...

- Quoi ? Je vois quoi ?

- T'as pas foutu le feu à ton placard !

- Ouai, ben la ramène pas trop . C'est pas dit que ça ne soit pas pour bientôt.

- C'est ton côté pessimiste et ronchon qui reprend encore le dessus ?

- C'est mon côté réaliste qui sait que nos lendemains ne chantent toujours pas, même si j'ai un peu mieux dormi cette nuit.

- Et puis il fait beau aujourd'hui.

- Ça me fait une belle jambe qu'il fasse beau.

- Ca va venir.

- Quoi ?

- Le fait que ça va nous faire de belles jambes, et puis une belle peau aussi.

- Mais merde, tu crois que j'ai le cœur à rire ?

- Souviens toi il y a deux ans, tu as ouvert ta trappe et tu as profité de chaque rayon de soleil, de chaque minute de plaisir offert à des petits bouts de ta peau exposée tout à tour. Deux ans presque jour pour jour je crois...

- Et là je peux m'allonger de tout mon long dehors sur le haut de mon placard en toute liberté et c'est devenu le cadet de mes soucis.

- C'est drôlement dommage.

- Je suis bien d'accord avec toi. C'est vraiment dommage que j'en sois arrivé-e là.

- C'est un peu de ta faute non ?

- Et pourquoi ça ?

- Tu as l'impression il me semble que tout est devenu plus compliqué.

- Pas toi ?

- Pas plus qu'avant .

- Et moi si, c'est ça ?

- Ah oui carrément.

- Tu ne trouves pas que les choses se sont vraiment beaucoup, beaucoup accumulées depuis deux ans ? Et puis pas du pipi de chat, pas de la gnognote ; Une pandémie, une démocratie libérale totalement débridée qui devient répressive, la guerre à nos portes au cœur de l'Europe. Ah, oui,  parce que les autres de guerres on a tendance à s'en foutre pas mal, sauf qu'elles nous ramènent des migrants qu'on accueille pas à bras ouverts, mais bon c'est pas bien grave, hein ?  Faut qu'on fasse gaffe, hein ? Faudrait voir à pas leurs laisser la place, parce c'est vrai non? Ils ne sont pas comme les réfugiés de l'est ? Ils viennent de trop loin, ils n'ont pas nos racines, notre culture commune, hein ? Alors on peut les laisser crever dans leurs guerres ou dans la mer. C'est mieux, c'est plus rassurant parce que depuis quelques temps y'a de plus en plus de gens qui ont peur du grand remplacement, et ils faut les rassurer ces gens là ! Et puis, on arrête pas de nous dire que bientôt ce sera la fin du monde de toute façon, que les catastrophes climatiques arrivent...  Et oui, c'est pour bientôt. Toute la planète, enfin celle aux manettes,  continue plein pot, à toute berzingue, de produire et de détruire... Alors nos placards au beau milieu de l'eau ce ne sera plus temporaire mais définitif... Tu as détesté ça , si je me souviens bien.

- Oui c'est vrai, mais moi, l'angoisse m'est familière.

- Et pas moi ?

- Non pas toi.

- Et c'est grave docteur ?

- Ben du coup ça devient plus compliqué...

- C'est pas faux...

- On est pas bien là, portes grandes ouvertes à profiter de cette belle fin de soirée ?

- T'as plus d'angoisses toi ?

- Des tas comme d'habitudes. Mais j'ai vécu pendant deux ans avec un être humain qui se contentait de peu, au milieu de nulle part, et qui m'a appris que bien souvent la vie n'est pas si compliqué même en étant dans la merde la plus totale.

- Ah, oui ? Quelqu'un de totalement cinglé et irréaliste en fait ?

- Non pragmatique je crois et plein-e d'espoir il me semble.

-  Et tu l'as perdu-e ?

- J'espère que non.

Silence...

- Ben moi aussi...

Le 25 avril 2022 . Lendemain des élections présidentielles. Je sais que la peur ne chasse pas le danger et je suis soulagée que le danger ne se soit pas installé, mais la tristesse a pris le relais... Le chantier politique est énorme... Et je suis triste de me sentir si petite si fragile quelque part, face à ce monde en devenir assez désespérant pour l'instant... Les doux et douces rêveuses ne sont jamais les vainqueurs dans ce monde immonde et je commence à en avoir ma claque car cette réalité vécue ne date hélas pas d'hier... Et les années, et les défaites commencent  à peser de plus en plus lourd au fil du temps qui passe...