Réflexion sur ... Avril 2023

23/04/2023

En ce moment on nous demande, entre autre le SYNDEAC, de créer moins de spectacles vivants. Alors il va falloir que les artistes crèvent la dalle ! Oh ! pas tous. Mais sûrement celles et ceux des petites cies, les moins reconnues et validées par les institutions culturelles en tout genre. Bien souvent, les cies de territoires, considérées comme mineures, voir amateures par rapport aux cies plus centre-urbaines, souffrent les premières de ces idées de génies. Vous me direz et pourquoi donc ? Et puis c'est une idée raisonnable puisqu'il y a beaucoup plus d'offres que de demandes; que la période Covid, l'air de rien, a embouteillé "le marché" de la création. C'est une bonne idée, non ? Oui effectivement, l'idée semble raisonnable. Mais je le répète les artistes et technicien-nes vont crever la dalle de nouveau. Les cies pour la plupart ne sont pas subventionnées au fonctionnement, mais au projet de création. Les recettes des cies sont : les contrats de cessions pour les spectacles achetés, les contrats de médiations artistiques (qui ne nous rémunèrent pas comme artiste et c'est problématique) , les subventions de créations et les résidences de créations payées (pas si nombreuses en vérité, un graal en fait). Vendre un spectacle est une bataille de tous les jours pour les petites cies, il faut de nos jours avoir un ou une chargée de diffusion, sinon la tâche est quasi impossible. Il faut donc avoir les moyens de les payer. D'autre part payer toutes les heures de répétitions est un véritable chalenge budgétaire. Et puis Il faut pouvoir partir à Avignon (la foire validant notre valeur artistique et nous offrant de rencontrer un maximum de programmatrices et programmateurs, parce qu'il ne faut pas se leurrer on y va avant tout dans cet espoir là) et cela coûte une vraie fortune pour les cies. On en parle rarement, cela en ruine plus d'une. Du coup, c'est la course folle afin de faire tourner correctement la machine et maintenir les budgets serrés, à flot. On ne sait pas à l'avance si un spectacle sera bien vendu ou pas ( et ce n'est pas qu'une question de qualité artistique), nous n'avons aucune pérennité de ressources, alors on crée: on crée même si l'on à plus rien à dire, on crée même avec peu de moyens techniques et donc bien souvent en s'éloignant de l'idée initiale, on crée même avec peu d'artistes sur scène alors que l'on adore le travail de troupe, on crée même si notre champs créatif se réduit comme peau de chagrin, on crée en rentrant dans un maximum de cases imposées (la dernière en date va être de ne pas créer de spectacle anti-démocratique: article dans le Figaro, non, non ce n'est pas un fake, ce n'est pas le Gorafi qui le dit), on crée pour ne pas mourir de faim, pour ne pas lâcher cette passion qui nous dévore les trippes, car ces métiers on les choisit, on les défend, on se bat sans répit pour ne pas baisser les bras et claquer la porte avec pertes et fracas. Ah ! et puis il faut rester jeune aussi, surtout les femmes, les hommes c'est "moins pire"... Bref sans budgets de fonctionnement pérennes il y aura encore et encore trop de créations, sur le marché, faites en grande efficacité (peu de temps de recherche et de répétition), elles pourront être mal accompagnées car ce n'est pas donné à tout le monde d'avoir un staff administratif (production / diffusion) béton. Encore une fois, les budgets de fonctionnement n'existant pas, le socle reste tout le temps fragile. Même le fonctionnement "privé" est un broyeur sans pitié, il est encore plus précaire et dans un fonctionnement commercial affirmé, les cases à remplir sont très claires (divertissements, divertissements vous êtes les rois, sauf exceptions). Je ne suis jamais invitée à prendre la parole sur tous ces sujets là et pourtant j'en aurais des choses à dire et à proposer... Je fais partie des invisibles, de celles et ceux qui ont tracé leur sillon vaille que vaille, des convictions chevillées au corps, et ces convictions ne m'ont jamais fait gagner de pognon ou apporté la gloire, la reconnaissance "du sérail officiel". C'est un choix, mais depuis quelques années il devient de plus en cornélien. Dans deux ans exactement cela fera quarante années que je pratique ce métier, comme comédienne, autrice jamais éditée (je suis archie nulle pour me vendre et je manque de temps pour le faire) mais jouée par mes cies, metteuse en scène sur le tard (il y a 20 ans exactement), puis de nouveau comédienne et ravie d'y revenir. Je me suis mise au service de la création pendant ces quarante années, avec tout ce que cela implique et je n'ai aucun regret, juste parfois une immense fatigue d'avoir l'impression de devoir tout recommencer à zéro régulièrement. Nos métiers sont confrontés à l'éphémère certes, mais tout de même...faudrait pas trop pousser mémé dans les orties... Les artistes et les technicien-nes sont au cœur de mes préoccupations premières, c'est elles et eux que j'ai envie de rémunérer en premier et depuis quelques temps je me rend compte que notre monde basé sur des valeurs commerciales endurcies nous obligent de plus en plus à réfléchir structuration de nos cies comme des machines de guerre commerciale et donc: où l'enjeu de la communication en devient le centre, où nous sommes capables de nous censurer pour être achetables. Et là, se repose la question du fond, de la forme et du sens, ainsi que du temps donné au temps. Nous devrions revenir à l'urgence de dire, de vivre, de créer et non pas réfléchir à comment je rentre dans la bonne case pour pouvoir survivre, vous ne croyez pas ? Est-ce que le flux de la création se contrôle ? Si elle est vraiment libre cette création en tout genre et de tout poil, je ne le pense pas en fait... la création qu'elle qu'elle soit surgit et nous dépasse.